12 au 15 février : 4 jours de rando à ski au Col du Julier

Participants : Olivier Duvanel, Anouk Challandes, Jacqueline Riedli, Sandrine Seidel, Catherine Schulthess, Alexandre Poggiali, Michael Schaer, Maxime Zürcher, Christophe Gremion, Thierry Perret.

Mardi 12 février:

Hospice de la Veduta , col du Julier. La trame de l’histoire se met en place. Journée presque anodine. Dans ce cadre idyllique, rien ne laisse présager des évènements effroyables qui vont se produire les jours suivants. Pourtant, pour qui sait observer et ressentir, tous les ingrédients du drame sont déjà en place : l’isolement de l’hôtel en contrebas du col, les clefs des chambres qui ont disparu, les allés et venues des fraiseuses et des chasses-neige qui parcourent quotidiennement les lacets du col quelque soit le temps (Quelles traces compromettantes essaye-t-on vainement d’effacer ?), et pour finir, la présence à l’hôtel d’un moniteur de ski tessinois volubile et mythomane qui adore s’exhiber en slip.

Journée presque anodine. Il a neigé toute la nuit. Le sang gelé a disparu sous le manteau blanc immaculé. Les corps ont été découpés à la hâte et répartis en désordre dans des sacs poubelles réglementaires taxés. Le camion à ordure passera les prendre tout à l’heure. Tout est en ordre, le chauffeur est au courant : c’est lui qui a fourni la tronçonneuse et le tourne-disque. À Bonaduz, l’incinérateur communal avec filtre à particule attend déjà son macabre combustible.

Il est 9h, nous sortons de l’hôtel pour affronter les températures glaciales qui règnent sur le col. On est pas loin des -20°. Des voiles de brumes matinales estompent les contours des vallées. Les sommets enneigés transpercent les nuages bas et le ciel blessé répand sa douleur dans l’espace bleu que remplit bientôt la clarté du soleil. On se met en route pour le Piz Campagnung, un sommet facile qui culmine à 2826m. Le vent qui règne en maître à ces altitudes forme des congères aux formes étranges. Qui pourrait se douter que sous certaines d’entre- elles…

Comme à son habitude, Olivier fait la trace. Le froid est mordant, il faut se protéger le visage pour éviter les gelures. Puis d’un seul coup, une sensation de chaleur inexplicable s’empare de nous. Que se passe-t-il ? Le vent qui balaye nos traces emporte la question, et nos angoisses avec.  On atteint le sommet vers midi. L’ambiance est irréelle, les montages sont bien visibles, mais des lambeaux de brouillards s’accrochent à leurs flancs débordants parfois par-dessus leurs sombres arrêtes, tels les vagues d’un océan en furie. À l’horizon, un mince ruban de ciel bleu coiffe les sommets et, au dessus, une nappe de nuage gris uniforme, fine comme une couverture en soie, tamise la lumière vive du disque solaire.  On fait une courte pause. Maxime nous inquiète. Son comportement est étrange, ses gestes sont incongrus. Il tient à la main un petit pot en plastique surmonté d’un opercule circulaire en alu. Après avoir enlevé délicatement l’opercule et léché sa face interne, il se met à fouiller dans son sac et sous nos yeux écarquillés par l’effroi sort une petite cuillère. À intervalle régulier, il trempe la cuillère dans le pot en plastique et en extrait une substance laiteuse qu’il porte aussitôt à sa bouche.

Pour remettre sur pied Maxime qui ne supporte visiblement pas l’altitude, Alexandre propose de lui administrer un cocktail remontant issu de sa trousse de «produits spéciaux» pour compétiteur de ski alpinisme. Nous lui faisons très diplomatiquement comprendre que Maxime pratique un alpinisme clean depuis plus de 40 ans et que, par conséquent, son corps ne supporterait pas un tel traitement.

Sur ce, nous redescendons au plus vite pour contrecarrer les effets pervers de la dépressurisation qui perturbe les neurones de Maxime. L’effet est radical, au pied de la montagne Maxime repique du vif et nous sommes de nouveau tous d’attaque pour remonter les 300m qui nous séparent du col que nous projetons de franchir pour la variante du retour. 

De l’autre coté du col, nous entamons une descente pour rejoindre le fond d’une vallée qui doit nous guider sans encombre vers notre hôtel. C’est dans les premiers virages de cette descente que la journée anodine se transforma soudainement en journée presque anodine.

D’après des témoins oculaires dont la crédibilité ne peut à priori pas être mise en doute, l’incident débuta par un cri terrifiant, puis l’on vit un ski de marque Fischer dévaler la pente à grande vitesse. En levant les yeux, on put apercevoir Jacqueline dévalant elle aussi la pente, la tête en bas en laissant derrière elle une large tranchée dans la masse neigeuse sur plusieurs dizaines de mètres avant de s’arrêter enfin. Cet épisode dramatique n’eut heureusement pas de conséquences néfastes sur la santé de Jacqueline. Cette dernière constatation ne pouvait hélas pas s’appliquer à l’état des skis de notre camarade. L’une des lattes présentait en effet en son milieu, un énorme cratère qui laissait voir dans ses profondeurs sans fond les entrailles boisées du ski à jamais meurtri. Au bord du cratère, un gros copeau de plastique noir plié en accordéon complétait cette vision de désolation.

La version officielle de l’incident tel qu’elle fut relatée dans la Gasetta del Grischun du lendemain mentionne, comme cause de la chute et des dégâts concomitants, un gros bloc de rocher perfidement caché sous l’épaisse couche de neige poudreuse. Cependant, la nature et la disposition de la blessure infligée au ski contredisaient totalement cette version. Un ski en mouvement entrant en contact avec un rocher produit au niveau du point d’appui de la semelle une surface d’arrachement dont la géométrie traduit la nature dynamique du contact avec une composante bien marquée dans la direction du mouvement relatif, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence. Mais personne n’osa contredire cette version officielle, car la vérité pressentie était si effrayante qu’elle ne pouvait être révélée sous peine de mettre en péril l’économie touristique de toute la région.

Dès que Jacqueline eut rassemblé ses esprits et son matériel, nous poursuivîmes notre périple. Un soleil généreux irradiait la vallée au fond de laquelle nous laissions glisser nos skis sans effort. Cet instant d’harmonie fut de courte durée. Plus bas, un brouillard épais qui remontait depuis le col du Julier nous enveloppa progressivement. Le recours au GPS fut nécessaire pour retrouver l’hôtel.

De retour à l’hospice, l’après-midi et la soirée furent paisibles. Sauna et jacuzzi contribuèrent à détendre l’atmosphère à peine troublée par les familiarités insistantes du moniteur de ski tessinois volubile et mythomane qui allait peu à peu prendre une grande place dans cette histoire en étant un des acteurs clef du tragique dénouement final.

La nuit tombée vit les chutes de neige reprendre de plus belle.

Sur la route du col, Reto Caduff conduisait le camion-grue gris-vert. À travers le pare-brise, sa vision, troublée par les gros flocons qui dansaient dans la lueur des phares, avait de la peine à distinguer les feux arrière de la fraiseuse qui lui ouvrait le chemin en soulevant des nuages de poudreuse. C’était son cousin Franco Caveign qui lui avait procuré le lourd véhicule. À l’arsenal de Coire, où ce dernier travaillait, il n’avait pas eu de peine à emprunter l’engin en prétextant une intervention urgente sur le puits 117 du fort souterrain du Val Pedrunz.

Cette nuit, ils allaient enfin pouvoir déplacer la lourde stèle qui condamnait l’entrée. Cette nuit, ils allaient enfin connaitre la vérité.

Tout avait été prévu. Vincenz avait pris son accordéon. Au moment crucial il devait jouer une polka effrénée pour couvrir le bruit de l’aspirateur. Assis à l’arrière du camion, ses doigts engourdis tripotaient nerveusement les touches de l’instrument. Le soufflet en cuir de l’instrument émettait des râles lugubres à chaque fois que le véhicule tressautait sur un chaos de la route. Les hommes n’avaient plus le droit à l’erreur ; le cousin Camenzind avait averti qu’il refusait désormais de prêter sa tronçonneuse et son tourne-disque.

À l’hospice de la Veduta, c’était l’heure du souper. Le repas gastronomique fut apprécié à sa juste valeur et procura à l’équipe des skieurs un semblant d’apaisement. Mais ce petit bonheur précaire pris vite fin lorsque vers les 21h, sous la neige qui redoublait et dans le vent glacial qui balayaient le parking, la silhouette inquiétante d’une fourgonnette Renault rouge projetée par les phares d’un camion-grue gris-vert se dessina sur les carreaux givrés alors que retentissait un air sinistre d’accordéon. Peu après, un couple de Sagnards à l’air suspect apparut dans le hall de l’hôtel. C’est à ce moment-là que l’histoire bascula dans l’horreur absolue…

Mercredi 13 février :

Nous entamons notre deuxième excursion avec un petit déjeuner copieux prévu à 7h00 et départ à 8h00.

Heureusement, il fait un temps magnifique, mais j’ai comme l’impression qu’on va se les geler. Petite mise en forme avant de partir. À chacun sa méthode, Anouk et moi optons pour un va-et-vient dans le couloir de l’hôtel, car nous y faisons toujours de belles rencontres.

À 8 heures, les choses deviennent plus sérieuses. Nous mettons les peaux aux skis et commençons la grimpée directement depuis le parc de l’hôtel. Une belle montée nous attend, suivie d’un long faux plat et remontée sur le Piz Sur Gonda. Au sommet, nous faisons une petite pause et admirons la vue. Pas question de nous attarder, nous devons tenir notre programme, à 15h38 nous devons être à Champfer, et vu la lenteur de certaines, plutôt d’une, Olivier à de quoi s’inquiéter. Nous poursuivons notre randonnée en portant nos skis. La crête n’est pas difficile, tout à fait à mon goût. Plus loin, on aperçoit un groupe de personnes qui vient dans notre direction. La descente entre les pierres se fait avec quelques petits embouteillages: «Bonjour» «Bonjorno» «Guten Tag» «Hoi zamä» au moins là, t’es sûr de ne pas te tromper. Ensuite, nous entamons la descente sur le glacier qui nous amène sur une pente à l’ombre et exposée au vent. Il faut remettre les skis, mais attention, il a aura des bouts de nez gelés. Personne n’a envie de rester à cet endroit, et c’est à grande vitesse que nous dévalons la pente dans une belle poudreuse qui nous fait virevolter sans aucun effort. Plus bas, au soleil, on s’arrête quelques instants pour attendre Maxime qui a pris une autre direction et doit remonter quelques mètres pour nous rejoindre. Tout le monde apprécie la descente, les conditions sont idéales.

Arrivés au pied du Piz Survreta, il est temps de refaire une pause et nous en profitons pour sortir notre pique-nique et pour remettre les peaux. Après une dernière gorgée de thé bien chaud, je repars avant les autres, accompagnée de ma copine Anouk. Oh là là ! Cette montée me paraît interminable et raide. D’ici, j’observe les conversions et je me vois déjà en train de pétouiller pour un ski qui ne se lève pas comme je veux. Bien sûr, il suffit de mettre le pied en arrière et de tourner, c’est tout facile.

« Mais, tu fous quoi, Jacqueline ? Où est ta souplesse et ton élégance d’autrefois? Un p’tit coup de hanche et le tour est joué. Fais comme moi, regarde ! »

« Ah ! J’vous jure, y des moments j’me sens vraiment potasse, et dire que je suis 6 mois plus jeune ! »

Ce que j’ai oublié de vous préciser, c’est qu’au bout de 5 minutes tout le groupe m’a déjà dépassée et je me retrouve comme d’habitude dernière.

Heureusement, Anouk ne m’a jamais laissée tomber et pour me remonter le moral Sandrine est venue en renfort. Toutes deux essaient de me distraire en me racontant des histoires drôles, mais croyez-moi ou pas, dans des moments comme ça je n’ai même plus envie de rire. Je les ai comptées, les conversions, il y en avait 8 et j’en aurais pas fait une de plus. J’arrive fin crevée en haut du Piz Survreta, alors que les autres n’ont même pas réalisé que ça montait. Sympa. «Olivier, dis-moi qu’il n’y a plus de montée !»

«Non, maintenant cap sur Champfer en Engadine, mais avant, admirez la vue. En face, c’est le Corvatsch et ce petit village au bord du lac c’est Sulej.»

La descente est à nouveau magnifique, chacun se régale à sa façon, moi j‘essaie de récupérer. Plus bas, il ne faut pas se tromper, il faut tirer sur la droite sinon on va du côté de St-Moritz. À 14h20, arrivée à Champfer. Il nous reste à trouver un restaurant ouvert, ce qui n’est pas chose facile. Après avoir traversé tout le village, nous trouvons un petit resto de 10 places dans un petit magasin d’alimentation, mais ce dernier est comme par hasard fermé. C’est tout bon, il ouvre à 15 heures. L’attente se fera au soleil derrière le bâtiment. À ce moment précis, je me dis que si j’avais su qu’on allait attendre, je ne me serais pas dépêchée lors de la dernière montée. À savoir pour la prochaine fois. La porte s’ouvre à l’heure indiquée et nous profitons d’acheter quelques friandises ainsi que de commander des boissons chaudes.

À 15h38, le bus postal Saint-Moritz–Chur arrive presque vide, mais le chauffeur nous regarde d’un air assez étonné. Il s’arrête et descend du bus en nous demandant si nous avons réservé. «Ah bon, il fallait réserver, mais quoi ?» On ne le saura jamais.

La remontée du Col du Julier se fait sans aucun problème et nous sommes tous ravis de retrouver notre bel Hôtel L’Opizio La Venduta, où le beau… non rien, j’allais dire une bêtise.

Merci encore à Olivier d’avoir fait quelques pauses et merci à Anouk pour ses bons conseils et d’avoir eu la patience de m’attendre.

                                                                               Jacqueline

Jeudi 14 février :

Déjeuner fixé à 0800. Le départ lui est pour 0900. Il s’agit d’être à l’heure ! Nous irons faire le Piz Lagrev, mais rien à voir avec l’hôpital de la Providence !

Altitude : 3164 m.

Le soir avant, Olivier a étudié les cartes, passé les données dans son GPS et celui de Thierry.

Il lui a fallu beaucoup de concentration pour ne pas se faire distraire par Massimo Biondi, instructeur de ces dames et son incroyable humour, n’hésitant pas à intervenir dans nos discussions sans l’ombre d’un problème.  Un vrai petit chocolat ce Raffaello !

Maaaaa siiii ehhhh ! (Massimo Biondi, surnom attribué très rapidement à ce résidant tessinois, tiré du film Les Bronzés font du ski, épisode de la cabane…). Bon, revenons à nos skis !

Le lendemain, les thermos remplis, peaux collées, baudriers passés et le yoghourt dans le sac de Maxime, nous partons avec quelques minutes de retard sur l’horaire fixé. Les conditions météo sont bonnes et les températures négatives.

L’itinéraire est choisi avec attention par Olivier, toujours très concentré. Nous évoluons durant une grande partie à l’ombre. Nous traversons un petit lac. Pourvu que la glace tienne, car nous ne voyons pas de bateau pour éventuellement faire du ski nautique… Arrive une première pente raide en forme de couloir assez large. Là, nous faisons des conversions, car je vous rappelle que c’est raide. Soudain, un homme vêtu d’une veste bleue fait un démarrage vertical, fini les conversions ! Aïe, le mal aigu des montagnes vient de frapper Christophe qui se prend pour un funiculaire ! Il ne s’arrêtera pas jusqu’au sommet du couloir. Mais quel physique !

Une fois en haut, le soleil nous accueille. Le paysage est magnifique et nous faisons une pause bienvenue. Bonne nouvelle, le yoghourt de Maxime n’a toujours pas gelé ! 

Après une deuxième montée assez technique ou certains mettront les couteaux, nous découvrons le Piz Lagrev et son arrête sommitale que nous foulerons de nos crampons. La vue est splendide de là-haut, un bien-être nous envahit et c’est bon. Hop, quelques photos et place maintenant à la descente dans une poudreuse d’une agréable légèreté. On regretterait presque que Massimo Biondi ne soit pas des nôtres, oui souvenez-vous, notre instructeur-tombeur. Il aurait pu nous faire un cours sur le planté du bâton…

Maaa siiii eeeeehhhh !

La descente se passe bien pour tout le monde, le petit lac à traverser est toujours gelé et tant mieux, car toujours aucun bateau en vue. Nous retrouvons notre hospice situé à 2233 mètres où le sauna nous attend déjà.

En résumé : Sortie de 6h00,  13,7 km avec un dénivelé de 1237 m.

Merci Olivier pour cette belle sortie remplie de douce poudreuse.

Merci aussi à Anouk, Jacqueline, Catherine, Sandrine, Christophe Uniculaire, Maxime, Mickaël, Thierry et Olivier pour votre agréable compagnie.

                                                                                        Alexandre