Pour cette sortie VTT, Pierre a loué un minibus à une association de cyclistes retraités. Moyen de transport qu’il a fallu compléter par l’adjonction du minibus de Renato en raison de la forte participation. On retrouve donc Pierre au volant du Fiat Ducato en train de négocier à vive allure les lacets de la route menant de Broc à Charmey après avoir déchainé le puissant 12 cylindre en V sur les autoroutes Fribourgeoises.

Premier arrêt au bistrot de Châtel-sur-Montsalvens pour laisser passer Nicole Niquille dans son fauteuil roulant électrique qui s’impatiente dans la longue file de véhicules qui précèdent le bus.

Après les Ovos chaudes, c’est reparti sur les chapeaux de roues en direction de Charmey.

Arrivés à destination, les opérations de débarquement et de réassemblage des VTT se déroulent dans le plus grand désordre sur le parking des bains. Afin de gagner de la place dans le bus, les roues avants ont été enlevées et les guidons réorientés dans l’axe principal des vélos. Lors du remontage, le positionnement angulaire parfait du guidon est une condition nécessaire à une navigation sans dérive. Il faut en effet savoir qu’une erreur de perpendicularité de 1°  lors de l’ajustement du guidon induit un déplacement latéral systématique de 17 m sur un parcours de 1 km sensé être rectiligne lorsque les conditions d’ajustement sont parfaites : (2*PI / 360°)*1000 =17.

Les premiers kilomètres se déroulent sur un sentier humide et glissant en bordure de forêt. Puis nous virons à gauche pour traverser la rivière et rejoindre la route goudronnée tout près de la Chartreuse de la Valsainte. Nous sommes alors contraints à un arrêt prolongé pour attendre les Vététistes dextrogyres, ceux dont le guidon est affecté d’un défaut de perpendicularité positif qui les pousse à tourner systématiquement à droite dans les croisements. À partir d’ici,  la route devient plus pentue. Elle serpente sur le versant sud de la Vallée de la Valsainte où se dresse le sommet de la Berra. À l’alpage des Botteys, la route goudronnée cède sa place à un chemin blanc et à 1km du sommet le chemin se transforme en une infâme trace boueuse, raide et forestière. À la sortie de la forêt, l’horizon s’élargit et nous apercevons la cime majestueuse de la Berra qui n’est plus qu’à quelques tours de roue. Une pente herbeuse et confortable nous amène au sommet à 1719m. C’est le moment de sortir les barres d’Ovomaltine en se pâmant de joie devant le panorama incomparable sur les sommets de la Gruyère qui émergent des vallées embrumées.

La descente qui s’ensuit est particulièrement appréciée, car le sol des montagnes gruyèriennes est tout fait adapté aux VTT. Le bétail qui pait dans ces contrées ne provoque pas par son piétinement ces détestables irrégularités du sol que l’on trouve dans le Jura et qui désarçonnent l’imprudent Vététiste qui s’enhardit dans une descente sans modérer sa vitesse.

Cette caractéristique des sols gruyèriens est due à la morphologie particulière des vaches que l’on trouve ici. On sait que la production laitière d’une vache fribourgeoise est facilement le triple de celle de sa consœur jurassienne. Pour arriver à un tel résultat, le développement des  glandes mammaires atteint des proportions considérables si bien que la vache gruyèrienne adulte repose sur le sol non pas sur ses 4 sabots étroits et durs, synonyme de destruction irréversible des pâturages, mais bien sur ses 4 tétines larges et molles, assurant ainsi une assise de la vache respectueuse du milieu herbeux. La vache fribourgeoise adulte se déplace donc par reptation et n’utilise ses pattes que 2 fois par année. Lors de la montée à l’Alpage elle utilise ses pattes arrière pour se mouvoir vers les pâturages gras des sommets ou elle se pose définitivement jusqu’à l’arrivée des premières neiges. Et lors de la désalpe, elle utilise ses pattes avant pour freiner sa descente vers la plaine et éviter ainsi la collision avec le camion-citerne Crémo qui vient prendre livraison de la crème à la fin de la saison d’estivage.

Depuis le sommet de la Berra, nous longeons le sentier qui suit l’arête sud-est. Puis nous retrouvons une des nombreuses routes qui relient les alpages de la vallée. L’alpage des Gros Chomiaux nous accueille pour la partie gastronomique de cette course. Les plats commandés pour la pause de midi répondent aux critères stricts d’une diététique conçue pour améliorer les performances sportives. L’option jambon-salade de patates arrive en tête suivit de près par les macaronis du chalet qui se présentent sous la forme d’un gros amas de pâtes baignées par une sauce aussi huileuse qu’un amortisseur de VTT mal entretenu.

 Suite à l’apparition sur la table d’un petit pot de crème double dont le velouté légendaire lors de la mise en bouche est brusquement mis à mal par l’apparition sur le tard d’un puissant goût d’écurie, la question pertinente de la provenance de ce produit mythique est soulevée. On apprend de la bouche d’un clubiste érudit que le doublement de la crème est obtenu par le dépassement dans les règles de l’art du camion-citerne Crémo qui vient livrer la crème à l’usine de conditionnement. Le camion de crème étant doublé, son contenu est par la force des choses également doublé. En conclusion une crème simple doublée dans les règles de l’art, c’est-à-dire, par la gauche et sur un tronçon de route bénéficiant d’une parfaite visibilité devient très logiquement une crème double puisque tout ce qui est doublé devient automatiquement double et vice versa. Soulignons au passage que, pour répondre au succès grandissant de ce produit, l’entreprise Crémo avait planifié la construction d’une 2ème usine de conditionnement de double crème. Mais ce projet a dû être abandonné, car des essais préalables ont démontré que le doublement de la production entrainait un épaississement trop important de la masse crémeuse. Cette conséquence était prévisible, car en l’occurrence doubler une production entraine automatique le doublement de ce qui est produit. Doubler un produit qui a déjà été doublé au cours d’un autre processus d’affinage aboutit à un produit excessivement pâteux qui n’est plus du goût du consommateur qui ne retrouve pas le moelleux qui fait la réputation de la crème doublée une fois. De plus, contrairement à l’élève peu studieux qui échoue à un examen, la crème qui redouble n’a pas droit à une seconde chance.

Aux dernières nouvelles, pour éviter des redondances dans le processus de doublement, des études sont actuellement en cours pour augmenter la puissance ou la largeur des camions de livraison Crémo afin d’empêcher tous dépassements non prévus avant l’arrivée à l’usine. Une requête a également été formulée auprès du grand conseil fribourgeois pour autoriser les camions de crème à circuler sur les petites routes étroites et sinueuses de la campagne fribourgeoise où ils sont beaucoup moins vulnérables aux dépassements. Cette requête a provoqué la colère des écologistes du canton qui dénoncent une atteinte inadmissible aux milieux de reproduction des armaillis barbus qui figurent sur la liste des espèces en voie de disparition dans le dernier inventaire publié par l’UNESCO. On voit donc que la question de la double crème de gruyère est un sujet hautement polémique qu’il convient d’aborder avec prudence, car elle a de nombreuses incidences sur tout ce qui touche à la vie sociale et politique du canton de Fribourg.

Dans un prochain récit de course, nous aborderons le sujet passionnant et explosif du gonflement des meringues à propos duquel circule un nombre considérable de préjugés et d’idées reçues qu’il convient de clarifier pour que rien ne vienne ternir la réputation des produits incomparables issus du noble terroir gruyèrien.

Après avoir rassasié nos corps et nos esprits, nous poursuivons notre trajet à flanc de montagne avant de plonger dans une descente vertigineuse pour rejoindre la base du versant nord de la vallée de la Valsainte. Notre but est de poursuivre sur ce versant pour rejoindre le sommet de la Vounetse. Mais notre progression est rapidement freinée au passage du lit d’un ruisseau transformé en un large pierrier par une récente crue. Plus loin, un sentier escarpé nous contraint à pousser nos vélos avant que nous ne débouchions dans des pâturages plus accueillants.

 Au détour d’une crête, nous découvrons au loin le sommet de la Vounetse. Vu l’heure tardive et le dénivelé important qu’il faudrait franchir pour atteindre le sommet, on sent chez certains participants une baisse sensible de la motivation. S’en suit alors une scène déplorable, mais hélas prévisible où on nous sert à la louche les sempiternelles excuses pour se soustraire à ce dernier effort : le diner avec la belle-mère, les mioches à conduire à leurs cours de violoncelle, la litière des poissons rouges à changer.

 Vaincu par ce déluge de mauvaise foi, Pierre ordonne alors un repli sur Charmey par le plus court chemin.

À 16 h, nous sommes de retour à notre point de départ. Les opérations d’embarquement des VTT nous coûtent de précieuses minutes, si bien qu’au moment de quitter le parking, nos 2 bus sont immobilisés par un flot de véhicules drainé par une noce qui se déroule dans les environs. Emportés par la foule qui s’élance et qui danse une folle farandole, nous sommes emportés au loin.

Dans cette confusion grandissante, nous avons la chance d’assister à un spectacle hors du commun. Un conducteur pressé qui cherche désespérément une issue pour échapper à la foule n’a pas pris garde à la présence d’un brutal changement de niveau entre le parking et la cour d’un immeuble par laquelle il espère fuir. Sa tentative de faire décoller son Audi A4 est carrément pitoyable. 10’000 Frs de dégâts pour à peine 1m70 de trajet aérien effectué avec un moteur de 190ch. Pour donner la mesure de cette contre-performance, rappelons qu’en 1903 les frères Wright parvinrent à faire décoller leur engin volant sur 37m en utilisant un moteur de 12ch seulement.

À grand coup de klaxon et d’invectives, Pierre parvient à extraire son véhicule de la cohue. C’est ainsi que nous nous retrouvons heureux et libres, filant à vive allure les cheveux au vent sur les petites routes sinueuses de la Gruyère.

Après une halte au restoroute de la Gruyère pour faire le plein de produits locaux (meringues, double-crème, carte postale d’armaillis barbus), le trajet de retour se poursuit à une vitesse terrifiante, si bien qu’à peine 5 h plus tard, tout le monde se retrouve à la maison, heureux et fier d’avoir participé à l’évènement VTT de l’année.

Les participants :

Pierre et Véronique Hirsig, Rénato et Gisèle Vernetti, Mirella Grandjean et Pascal Barberon, Adrien Aubry et Caroline, Christophe Vernerey, Olivier Duvanel,  Jean-Bernard Robert, Thierry Perret