La nuit au refuge d’Argentière a été calme et réparatrice, sauf peut-être pour Philippe qui porte sur son visage cramoisi les stigmates d’une intense et imprudente exposition aux rayons solaires. Ce matin, ses traits juvéniles ont disparu sous une épaisse couche de crème solaire. Il ne manque que les 2 concombres dans les yeux et les Charentaises au pied pour que l’image de bobonne sortant de sa salle de bain soit parfaite.
Lorsque nous sortons de la cabane pour chausser les skis, oh miracle, il fait jour. En 35 ans de carrière, c’est bien la première que je retrouve mon équipement du premier coup sans avoir à effectuer de pénible recherche en balayant la pénombre hostile avec ma lampe frontale.
Comme les risques d’avalanche sont importants, Guy a sagement décidé de ne pas faire l’Aiguille d’Argentière, mais d’emprunter un itinéraire moins exposé qui nous mènera au col d’Argentière à 3544m.
La journée commence par une descente pour rejoindre le glacier d’Argentière au pied du refuge. Pendant que nous enfilons les peaux, l’aube, qui a sorti son gros crayon orange, s’est mise à colorier les cimes des innombrables et prestigieux sommets qui dominent à l’Ouest le cirque d’Argentière. Avec tous ces pics et autres gendarmes qui parsèment les arêtes, il lui faut beaucoup de concentration pour ne pas faire déborder la couleur au-delà du trait tourmenté qui sépare la roche et le ciel. Qu’elle soit par ces lignes remerciée pour son travail minutieux et sans cesse répété.
Nous suivons brièvement le glacier d’Argentière, puis nous partons plein Est pour remonter le glacier du Tour Noir en direction du col. Par petit groupe, nous progressons dans la pente qui ne présente ni passages délicats, ni dénivelés impressionnants. La lumière du soleil nous rejoint lorsque nous atteignons notre but. Au col, le paysage est grandiose. Nous découvrons à gauche l’arrête qui s’élève vers le Tour Noir et à droite la crête qui s’étend vers le Dolent en passant par de nombreux autres sommets moins connus. Droit devant, au-delà de l’abîme du col qui plonge sur le Glacier de l’A Neuve, on devine les toits du village de la Fouly. Comme il est encore relativement tôt, la lumière n’est pas aveuglante. Elle met en relief les détails des rochers et des pentes neigeuses qui sont striés d’innombrables couloirs façonnés par le vent et les avalanches.
Après être restés un long moment sur le col pour profiter de ces instants privilégiés, nous nous lançons dans la descente. La neige est excellente dans les pentes supérieures, mais elle devient plus cartonnée lorsque nous nous rapprochons du glacier d’Argentière. Au pied de la pente, nous prenons la pause de midi sur un gros bloc de granit. La température est printanière et la neige se ramollit rapidement. De cet endroit, nous contemplons le défilé des skieurs qui font la même course que nous, mais en partant directement depuis la station supérieure du téléphérique des Grands Montets. Une file ininterrompue tout au long du glacier d’Argentière, un échantillon de la France entière se traîne sous la chaleur suffocante du milieu de journée : les forts qui ont déjà atteint le col, les moins forts qui suffoquent dès que la pente se redresse, les expérimentés et ceux qui se croient expérimentés, les discrets, les bruyants, les solitaires et les groupes, les groupes de Parisiens bruyants qui se croient expérimentés et qui suffoquent dès que la pente se redresse.
Après avoir contemplé ce spectacle assez convenu, nous reprenons notre descente sur le glacier d’Argentière. Au bout de 4km d’un long faut plat, le glacier n’est plus praticable et nous le quittons par la gauche pour rejoindre les pistes de ski du domaine d’Argentière. Une descente agréable sur une neige douce nous ramène à notre point de départ. Il est 14h et nous avons tout le temps pour nous attabler sur une terrasse et rentrer ensuite sans précipitation chez nous.
Merci à Guy pour ce weekend mémorable qui nous a permis de découvrir cette région unique sans avoir à subir le stress des grandes courses.
Participants : Guy et Anne Kohli, Sandrine Seidel, Sandrine Parlee, Jean-Bernard Robert, Philippe Roche-Mérédith, Markus Tobler, Thierry Perret.