Posée comme ça, la question est un peu caricaturale car nous n’avons pas visité toutes les cabanes d’Autriche. Le fait est que dans le Tyrol, les cabanes où nous nous sommes arrêtées, appartenaient toujours à une section du DAV (Deutsches Alpenverein).
Quand on parle de cabanes on pense aussitôt club alpin. Dans le No. 19 de la revue « l’Alpe », on trouve un article de M. Olivier Hoibian historien, qui documente bien l’histoire des clubs alpin européens.
Comme chacun le sait, le prototype des clubs alpins est l’Alpine Club britannique, fondé le 22 décembre 1857 au Ashley Hotel à Londres. Prototype ? Pas vraiement. L’Alpine club est un club élitaire et misogyne. Il ne s’intéresse ni à la culture des Alpes, ni à la formation des guides, ni à la construction de cabanes. Pour les membres de l’Alpine club, seul compte la performance sportive. Les Alpes n’ont d’intérêt pour eux que comme « terrain de jeux »(Leslie Stephen).
Dans cette deuxième moitié du XIXème siècle, l’Angleterre est la puissance de référence. Tout ce qui se fait à Londres se doit d’être imité dans l’Europe entière. C’est pourquoi un groupe d’ascentionniste viennois décide en 1862 de créer l’Österreicher Alpenverein (ÖAV) sur le modèle de l’Alpine Club.
Cet événement va provoquer en Suisse une véritable prise de conscience. Quelques intellectuels se rendent compte que les Alpes suisses sont de plus en plus colonisées par les Britanniques. La fondation du CAS, le 16 avril 1863, répond au besoin de se réapproprier les Alpes. Les 35 membres fondateurs sont principalement des universitaires, dont le but avéré est « d’explorer et de faire connaître nos Alpes du point de vue topographique scientifique et pittoresque. »
La topographie fut un moteur important des premières activités du CAS, car les alpinistes suisses craignaient d’en être réduit à utiliser des cartes anglaises pour leurs déplacements dans les Alpes. L’orgueil national encore tout frais, n’oublions pas que la Suisse moderne n’avait que quinze ans, ne le permettait pas. C’est pourquoi, avant même la fondation du CAS des alpinistes géomètres collaboraient déjà avec le Service Topographique Fédéral. Le CAS demanda et obtint du Conseil Fédéral le droit de publier des cartes d’excursion des principaux massifs des Alpes au 1 :50000 sur la base de la carte Dufour au 1 :100000. Le travail commencé en 1863 fut achevé en 1870.
La cartographie exige de nombreux relevés sur le terrain. Ce terrain la plupart du temps est dangereux, hostile, difficile. On a de plus en plus recours à des locaux qui se disent guides. Le sont-ils vraiment ? A cette époque, seuls les cantons du Valais et des Grisons délivraient des patentes de guides. Dans les autres cantons, c’était à bien plaire. La formation des guides fut le deuxième souci du CAS. Il obtint le droit de délivrer des patentes dans les cantons où il n’y en avait pas. Il manquait encore des lieux où dormir, éventuellement cuisiner et stocker vivres et matériel. On souhaitait substituer aux vagues abris du début de vrais maisons dans lesquelles un gardien présent pendant toute la saison assurerait l’intendance. Les hôteliers aussi étaient interressés par ce genre de construction ; et cela tombait bien car eux avaient l’argent. La construction d’un réseau de cabanes fut le troisième objectif du CAS.
C’est le modèle du CAS qui va pousser la même année (1863) le ministre des finances du tout nouvel Etat italien , Quintino Sella à favoriser le création du Club alpino italiano. (CAI) Et c’est également sur ce modèle que va être fondé le 2 avril 1874 le Club alpin français.
En résumé le modèle suisse était : une organisation d’amoureux de la montagne, constituée en sections pour promouvoir la découverte des Alpes, la formation de guide ainsi que la construction de sentiers et de cabanes. C’est sur ce modèle qu’un groupe d’alpinistes, aussi bien bavarois qu’autrichiens va fonder à Munich le Deutscher Alpenverein (DAV) en 1873. Le succès fut immédiat et retentissant. Des sections se créèrent rapidement dans les principales villes d’Allemagne. On se mit à construire des cabanes en Allemagne mais aussi en Autriche, car l’ÖAV qui n’existait guère qu’à Vienne et sa région ne s’était jamais soucié d’équipement. Bien que les rapports entre Allemands et Autrichiens se soient tendus suite à la défaite de l’Autriche face à la Prusse à Sadowa en 1866, on arriva assez naturellement à la fusion des deux clubs en un Deutscher und Österreicher Alpenverein (DÖAV)dont le logo, un edelweiss, orne encore aujourd’hui beucoup de cabanes autrichiennes.
Qu’est donc devenu le DÖAV ?
Il s’est incroyablement développé. Il n’y avait pas une ville allemande, même au bord de la Baltique qui n’eut sa section. Il a survécu à la défaite de 1918, bien qu’il perdit, sans aucun dédommagement 91 cabanes dans le Tyrol du Sud, l’Alsace et les Sudètes.
Dans les années 30, les sections, d’abord en Autriche puis partout , furent noyautées par les Nazis. Après l’Anchluss, l’annexion de l’Autriche au IIIieme Reich, il n’y eu plus qu’un seul Club alpin allemand. Celui-ci fut intégré au système de propagande par le sport du régime nazi. Il disparut complétement en 1942.
En 1945, pour cause de dénazification les Alliés ne voulurent pas de la renaissance du DÖAV. Néanmoins, en 1948 ils acceptèrent la refondation du ÖAV avec siège à Innsbruck et du DAV en 1949 avec siège à Munich. Notons également que fut fondé à Bolzano en 1946 le Club alpin du Tyrol du Sud (AVS) . En 1955, dans le cas d’un accord de retrocession entre l’Allemagne et l’Autriche, le DAV récupéra les 179 cabanes lui appartenant sur sol autrichien.
Aujourd’hui, sur les 332 cabanes qu’exploite le DAV 182 sont en Autriche.
Une telle présence interpelle. Il semble qu’il y ait entre les Alpes et les Allemands quelque chose de l’ordre de la passion. Qu’on en juge : quiconque est allé à Berlin a sans doute été frappé par l’absence de toute élévation. Berlin et le Brandebourg, c’est plat comme la main ! Pourtant la section compte plus de 12’000 membres et gère 6 cabanes toutes en Autriche.
écrit par Christian Weber